Autour de "1h25" : l’imposture
L’imposture est une des figures les plus condamnées de notre culture. Elle est liée au respect de l’identité. S’avancer comme ce qu’on est est peut-être un des concepts les plus respecté dans toutes les cultures. En art, la question de la sincérité, de l’authenticité sont centrales depuis la modernité et depuis que l’histoire de l’art comme discipline a été créée. Mais l’imposture est liée aujourd’hui de droit d’auteur, ce qui n’est pas glorieux.
"Une imposture consiste en l’action délibérée de se faire passer pour ce qu’on n’est pas (quand on est un imposteur), ou de faire passer une chose pour ce qu’elle n’est pas (supercherie, mystification, escroquerie). La nature d’une chose ou d’une personne se révèle en définitive différente de ce qu’elle laissait paraître ou croire."
Définition Wikipedia
Une imposture n’est pas juste une oeuvre sous pseudonyme, sauf si l’on construit de manière forte un personnage, ce qui devient vite obligatoire si une oeuvre accède au succès. 1H25 en est un exemple, ainsi que le "Frantico" de Throndheim.
L’imposture se base sur le contrat social invisible qu’est la vérité. Dans la plupart des transactions humaines, une confiance a priori est donnée lorsque vous énoncez votre identité. Dans des cercles de petite taille, l’imposture est quasiment impossible, car contrôlée par l’ensemble des membres du groupe. L’imposture est donc une pratique qui nécessite des groupes de grande taille, et des moyens de communication rapides et couvrant de grandes distances pour rendre l’opération indétectable. Les sociétés doivent alors créer des systèmes de contrôle, comme le sceau en cire ou la carte d’identité, dans lesquels viennent se glisser les impostures. L’imposture peut aussi utiliser le temps comme moyen pour rendre impossible le contrôle : les fausses peintures anciennes par exemple.
Les imposteurs, contrairement aux pasticheurx, sont discrets. Certaines impostures sont faites pour durer. On parle souvent à propos d’imposture de fausses mémoires d’Hitler, de saint-suaire ou de tableau de maître démasqués par carbone 14. Mais nombre d’impostures courent toujours, ou entretiennent le mythe.
L’imposture est parfois utilisée à des fins de démonstration, et dans ce cas elle est aussi faite pour être démasquée par la personne même qui l’a produit. Nombre de hackers ont prouvé leur valeur en s’introduisant dans des systèmes hyper sécurisés et déposé des informations fausses. Mais quel est l’intérêt si personne ne le remarque ?
Nous ne pouvons faire état ici que d’imposture démasquées, on nous en excusera par avance.
Female extension, Cornelia Sollfrank, 1997
Spectaculaire imposture que celle de Cornelia, qui préfigure le hacking contemporain.
Lorsque la Galerie der Gegenwart du Musée de Hambourg fait un appel à projet pour le premier musée virtuel de net art (oeuvre utilisant le net comme support), Cornelia Sollfrank décide de se saisir cette opportunité pour faire une petite démo de ses capacités de codeuse, mais aussi révéler le caractère machiste des décideurs dans le domaine de l’art.
Elle crée 289 adresses mails et leur associe des profils de femmes vivant dans 7 pays différents, et génère pour chacune des oeuvres fabriquées par un logiciel, le "net art generator", qui mixe, destructure, élague des pages web existantes pour en fait des oeuvres de net art tout à fait cohérentes. Les organisateurs se félicitent du nombre de participants et sélectionnent trois artistes... tous trois masculins. C’est le moment que choisit Cornelia pour sortir du bois et révéler sa supercherie, et insulter de gros machos ceux qui n’ont choisit aucune des femmes pourtant massivement représentées.
L’histoire lui rend justice : de cette exposition virtuelle on n’a retenu que sa non participation.
Voir la pièce et les oeuvres sur le site dédié
Pas facile à trouver :la liste des 289 participantes avec leur boulot proposé (certains offline)
Document F098, Vidéoconférence, 2000
Vidéoconférence : un groupe de recherche formé de vidéastes et d’historiens. Leur but : retrouver, restaurer et projeter des documents qui associent vérité poétique et beauté historique. Ce document vidéoconférence est la dernière bobine de rushes tournée par un reporter de guerre allemand durant l’automne-hiver 1942. Il a été exhumé des archives soviétiques durant l’été 1998, restauré et sous-titré.
Le film, présenté à la Biennale de Lyon, excitera les historiens par sa rareté et son incroyable destin. Puis elle fera pousser des cris d’indignation.
Darko Maver de 0100101110101101, 1998-99
Les "01" (plus court que leur nom complet) est un couple d’artistes italiens, Eva et Franco Mattes, actifs dans les arts numériques. Un de leur travail d’importance est d’avoir créé de toutes pièces un artiste serbe, Darko Maver, photographe trash, en 1998. Oeuvrant dans une Yougoslavie en pleine guerre civile, Darko photographie des morceaux de corps mutilés, des phoetus, comme une métaphore des conditions de vie fin de la population civile.
Des nouvelles savamment distillées annoncent que Darko a été menacé par les autorités pour son anti-patriotisme, qu’il se cache et vit dans des motels. Puis on annonce sa disparition, puis sa mort le 15 mai en prison. Son travail et un petit documentaire est montré lors de la 48eme biennale de Venise.
Début 2000 la nouvelle tombe :
« I declare I’ve invented the life and the works of the Serbian artist Darko Maver, born in Krupanj in 1962 and dead in the prison of Podgorica the 30th of April 1999 » annonce les 01. Scandale.
Le récit complet sur le site des 01
La magie du fond vert.
Nous nous laissons tous volontiers embarquer dans des histoires dont les artifices sont à peine dissimulés.
L’animation en est l’exemple, sa confection est une illusion, une successions d’images qui donnent l’illusion du mouvement, au service d’une histoire ( ou pas ).
"Neighbours" de Norman Maclaren, montre assez bien comment, en passant de la prise de vue réelle à la pixillation, le réalisateur qui a accès à chaque "inter-image" peut alors agir comme il l’entend, et ainsi "modifier le réel".
Mais l’animation c’est aussi la 3D, et il n’est pas rare d’assister en festival à une séance complète de court-métrages apocalyptiques, plus que réels, de raz-de-marée sur New York et j’en passe.
Ainsi, en rejoignant la famille des effets spéciaux, l’animation devient une manière d’augmenter le réel.
Et voilà comment nous, spectateurs, perdont totalement le contrôle de ce qui nous semble être le réel ou une illusion.
La vidéo "Visuals effects in movie" - dénichée sur la boite verte - peut rappeler à certains le jour où c’était pépé en fait dans le manteau du Père Noël, mais pourtant elle fait réfléchir sur notre capacité à prendre, par défaut, pour vraie, une image qui nous semble cohérente.
The Yes Men
Les "Yes Men", est un collectif américain capable d’infilter l’OMC, de se faire passer pour un représentant de la chambre de commerce US, ou encore un porte-parole, ou un journaliste, et de servir à ce titre un propos souvent complètement aberrant. Leur spécialité et de pousser à l’extrême certains raisonnements des gouvernements libéraux sur des sujets qui concernent l’exploitation des hommes, la famine ou les changements climatiques...
Le plus aberrant est que, même poussé à la caricature, leurs interventions ne suscite aucune réaction d’indignation.
Une série de leurs interventions sont visibles dans un documentaire du nom du collectif, et leurs exploits sont listés et détaillés dans Wikipédia.
Si l’un des membres, Jacques Servin, aussi connu sous le pseudonyme de Andy Bichlbaum est un parfait imposteur, "The Yes Men" est aussi une équipe qui est capable de manipuler tout les médias nécessaires à leur crédibilité : sites internet, documentaires, documents...
Ils commencent en 1993 en intervertissant les boites vocales de 300 poupées Barbies et GI joe avant de les réintroduire dans les circuits de vente, le 12 novembre 2008, ils diffusent 100 000 exemplaires dans les rues de New York un faux numéro du New York Times titrant à la une « Iraq War Ends »
Ici, Jacques Servin teste la profondeur du discours écologiques des politiciens français en se faisant passer pour un journaliste américain ultra réactionaire.