Radio Grandpapier

N°5 : Leo Lionni

Ce nom vous est certainement familier, puisqu’il est l’auteur du célèbre "Petit bleu et petit jaune", un album jeunesse que nombreux d’entre nous ont lu alors qu’ils étaient enfants et qui est devenu un classique du genre. Paru en 1962, ce livre a une longévité exceptionnelle puisqu’il est toujours lu par les enfants d’aujourd’hui et qu’il tient une place de choix dans les librairies, les bibliothèques et les écoles. Tout le monde connaît le livre mais peu connaissent l’homme qui se cache derrière cette histoire universelle.

Leon Lionni est né en 1910 dans la banlieue d’Amsterdam d’un père tailleur de diamants et d’une mère chanteuse d’opéra. Il grandit dans une famille cultivée et sensible à l’art. Ses parents possèdent un tableau de Chagall, "L’homme vert au violon sur des toits enneigés", que Lionni enfant ne cesse d’observer. Il y voit d’ailleurs le lieu de naissance secret de tout ce qu’il a écrit, peint ou imaginé..
Lionni est un enfant curieux, fin observateur de la nature. Il ramasse et collectionne toutes sortes d’objets. Il a dans sa chambre une table-nature sur laquelle il expose ce qu’il a collecté à l’extérieur. Cette idée de table-nature est chère aux pédagogies Montessori et Steiner qui se développent à l’époque et qui encouragent l’enfant à expérimenter par lui-même. Se côtoient sur sa table, des graines, des chenilles, des coquillages, des morceaux de bois sculptés, des terrariums remplis d’escargots, des plumes, des fleurs séchées, tout est soigneusement ordonné et étiqueté. On peut déjà voir les motifs de certains de ses albums pour enfants peuplés eux aussi de morceaux de nature.

Après un passage de deux ans à Bruxelles pendant lequel il apprend le français, Leo Lionni déménage aux Etats-Unis avec ses parents. En 1925, sa famille arrive à Gênes, et après avoir connu l’insouciance des matchs de basket et des bals de promo, Lionni découvre la montée du fascisme dans une Italie gouvernée par Mussolini. Il a 16 ans et tombe amoureux de la belle Nora Maffi, fille d’un activiste communiste. Il l’épouse en 1931. Ils ne se quitteront plus.
Il entreprend des études de commerce pour faire plaisir à son père. Il trouve un emploi dans une compagnie pétrolière mais fréquente assidument les artistes. Il fait la connaissance de Marinetti qui voit en lui en grand futuriste. En 1934, il plaque tout et part à Milan, il trouve un travail dans un magazine d’architecture, il s’essaye au graphisme. Il y croise Saul Steinberg alors étudiant en architecture, il est fasciné par la rigueur de l’artiste il retient de Steinberg cette phrase" Messy art leaves no message".
Inquiet par la montée du fascisme, ses origines juives le décident à fuir l’Italie, en1938, il part pour les Etats-Unis avec sa femme et ses deux enfants.
Il s’installe à Philadelphie et grâce aux relations de son père trouve un petit job dans l’agence de publicité Ayer. Il commence comme assistant à 50 dollars la semaine, mais après sa campagne réussie pour les automobiles Ford, il devient directeur artistique de l’agence. Il travaille ensuite pour Container, une grosse compagnie financière. Il y fait appel à des artistes comme Léger, Man Ray, De kooning pour ses campagnes de pub. ll engage même un certain Andy Warhol. Il est un des premiers designers à faire travailler des artistes pour la publicité. Pour une campagne pour General Electric, il rencontre Walter Gropius et le groupe du Bauhaus, qui lui demandent d’animer une session d’été au Black Mountain College, sorte d’université expérimentale à laquelle Remy Charlip a aussi été associé.
Sa créativité est à nouveau stimulée et il tente de se consacrer à la peinture à plein temps. Il organise sa première exposition en solo composée de tableaux de plantes, réminiscences de son enfance. Mais la réalité le rattrape, il est devenu l’un des designers les plus en vue de l’époque et les propositions affluent. Le magazine Fortune, un hebdomadaire bien connu d’économie lui propose de relooker le magazine. Il accepte en freelance et réalisera de magnifiques couvertures.Il travaillera aussi pour Time, Life, le Moma., le magazine Print.

Pendant toute cette période il fréquente des groupes de la gauche intellectuelle américaine et prend conscience de la responsabilité sociale des designers.
En 1958, il conçoit une partie du pavillon américain pour l’expo universelle qui se tient à Bruxelles "The unfinished business" est une sorte de tunnel aux formes étranges. Comme le suggère son nom, on peut y voir des images représentant les problèmes non résolus de la société américaine avec une ébauche de solution. On y parle d’environnement, de pauvreté, de lutte raciale. Le pavillon a malheureusement été fermé après la visite d’ un membre du Congrès américain un peu susceptible..

Leo Lionni a bientôt 50 ans et mène la carrière parfaite. Un jour qu’il rentre de New York en train, il essaye d’occuper ses deux petits-enfants, Pippo et Ann, alors âgés de 5 et 2 ans et décide de leur raconter une histoire. Il sort un exemplaire du magazine Life et commence à déchirer de petits ronds de couleur, qu’il pose ensuite sur le dos de son cartable. Il y a un petit rond bleu ami d’un petit rond jaune, inséparables ces deux-là s’embrassent et deviennent un petit rond vert que leurs parents ne reconnaissent plus, il leur faudra pleurer des larmes bleues et jaunes pour redevenir eux-même et retrouver leur famille.

L’histoire fait mouche, et en plus d’avoir conquis ses petits-enfants, Leo Lionni a captivé les passagers du wagon qui l’applaudissent à tout rompre. Rentré chez lui, Lionni s’assit à sa table, il déchire un nombre égal de ronds de papier bleu et jaune et la moitié de vert. Il préfère les déchirer que de les découper aux ciseaux car un découpage trop net rendrait la forme trop mécanique pour être une chose vivante. Il met le livre en page et dès le lendemain envoie son projet à un éditeur de livres jeunesse. Le projet est accepté et la nouvelle carrière de Leo Lionni est lancée.
Il quitte les Etats-Unis, abandonne le métier de designer et s’installe en Italie pour se consacrer à ses projets personnels. Après avoir tant créé pour les autres, il veut se recentrer sur l’art, la peinture, cette envie de créer qui l’a toujours animé.
C’est une nouvelle vie qu’il entame et se donne corps et âme dans l’écriture de ses histoires pour enfants. Il publie 28 livres jeunesse. Il expérimente différentes techniques, il utilise beaucoup les collages, il découpe, déchire des papiers marbrés qui ne sont pas sans rappeler les terrariums et les fossiles de son enfance. Il aime jouer avec les matières, et ose tous les mélanges. Les histoires de Lionni sont autant de fables nous amenant à réfléchir sur notre condition humaine, même si les personnages sont tous des animaux.
"Frédéric "est une relecture de la fable de la Cigale et de la fourmi. Lionni prend le parti de la cigale et pose plus largement la question de l’utilité de l’artiste dans notre société. Cest bien Frédéric, le poète qui redonne espoir à ses condisciples au plus profond de l’hiver.
Dans "le rêve d’Albert", l’auteur raconte la naissance d’une vocation artistique qui n’est autre que la sienne. Derrière Albert la souris, on reconnaît Lionni enfant fasciné par le tableau de Chagall qu’il contemplait si souvent .
Tous les héros de Lionni affrontent la peur de soi, de l’autre et du monde.
"Pezzetino" offre une belle synthèse de son oeuvre. "Pezzetino" est un petit bout qui se demande de quel grand tout il fait partie, mais finit par découvrir qu’il n’en est rien, il est simplement lui. Lionni lui aussi a rassemblé tous les morceaux de sa carrière tout en facettes, pour devenir un auteur de livres jeunesse particulièrement aimé des enfants. "Je suis bien moi" clame Pezzetino.

Leo Lionni s’éteint en 1999 à l’âge de 89 ans. Mais ses livres continuent leur chemin auprès des enfants qui s’approprient totalement ses histoires car elles expriment de façon simple et directe leurs différents sentiments.