Radio Grandpapier

Autour de "3""

Quelques oeuvres autour de l’idée de synchronie et de diachronie dans la représentation visuelle.

Synchronie et diachronie

La synchronie, l’exposition de faits simultanés, est présente abondamment dans la représentation, en particulier celle de l’image fixe, peinture, dessin, photographie. Structurer un même instant pour le rendre capable de nous raconter un récit est plus rare, cependant. Il s’agit là de créer une durée perceptible : en plus de la synchronie ajouter une diachronie, une lecture du temps dans l’espace d’une seule image. Riches et complexes, ces images sont la base de féflexion de cet article.

Space is time

Scott Mc Cloud parle dans le chapitre 4 de “l’art invisible” d’un concept central en bande dessinée mais aussi en peinture : “space is time”. L’espace de représentation signifie du temps. Le temps des lecture des dialogues, le temps de parcours de l’oeil sur une image, l’éloignement de deux cases ou de deux figures crée chez le spectateur une sensation de temporalité dont peuvent jouer les arts visuels en général, la bande dessinée en particulier.

Organ2/ASAP ( as slow as possible )
John Cage

Né en 1912, mort 80 ans plus tard, John Cage fait partie des compositeurs classés "expérimental" dans la musique contemporaine.
Sa pièce la plus connue est probablement 4’33’’, soit 4 minutes et 33 secondes de silence interprétées par un musicien.
Ici, interprétée par le pianiste David Thudor
Mais la pièce qui nous intéresse est la suivante : Organ2/ASAP ( as slow as possible )
que l’on peut écouter ici

Composée au départ pour la piano, en 1985, la pièce a été réécrite pour l’orgue, car c’est avec cet instrument que Cage pouvait le mieux assouvir sa volonté qui était de faire durer sa pièce le plus longtemps possible.
La pièce est donc actuellement en cours d’exécution sur un orgue dans l’église Saint-Burchardi de Halberstadt, en Allemagne. L’œuvre est censée durer 640 ans, pourquoi 640 ans, parce que c’est l’”âge” qu’avait cet orgue lorsque l’œuvre à démarré en 2001. Extrêmement lente donc, les modulations sont rares, la dernière ayant eu lieu le 5 Août dernier, la prochaine est prévue le 5 juillet 2012. Personne ne peut donc espérer entendre cette pièce dans son intégralité.
Cependant, il arrive qu’elle soit jouée dans d’autres endroits, en février 2009, la pianiste Diane Luchese joue à son tour Organ²/ASLSP. Elle réduit la performance à “seulement” 14 heures et 56 minutes, ( sans interruption ) tout en observant strictement les proportions temporelles de la partition, mais effectue ainsi la plus longue performance musicale jamais documentée.

Travelling Square District
Greg Shaw
( Sarbacane )

Je me suis dit en relisant Travelling Square District que si ce livre n’avait pas précédé 3", certains auraient crié à la furieuse et honteuse inspiration. Mais comme les choses sont bien faites, Greg Shaw peut dormir tranquille et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son nom apparaît dans un bout de dessin du côté de chez Marc Antoine Mathieu.
Travelling Square District est un plan carré, de face, d’une sorte de Manhattan revisité ( c’est la couverture ), dans lequel nous naviguons, comme si nous étions munis d’une lunette téléscopique.

Au départ, un bouton “start”, puis une succession de cases parfois quasiment abstraites dûes un déplacement rythmique, métronomique, parfois habitées par l’un des quelques personnages qui peuplent le quartier et qui par leurs interventions amènent et nourrissent l’enquête.

L’environnement est précis et soigné, c’est en couleur ( certains comparent la palette de l’auteur à celle de Chris Ware ), conçus pour pouvoir être vu des très près, de loin, Greg Shaw fait un dessin subtil, ligne claire, avec, je trouve, une maîtrise de la posture, un peu à la façon d’un Ruppert et Mulot.
Si Travelling Square District était une version numérique, ce ne serait pas un zoom vertigineux, mais plutôt une fenêtre que nous pourrions déplacer dans un plan fixe et avec laquelle nous pourrions zoomer, suivre une conversation puis repartir, dans un temps donné, avec à la clé la compréhension de l’intrigue, ou pas...tout dépend du chemin emprunté.


(Schéma emprunté à Loïc Massaïa, chroniqueur pour du9.org voir l’article] )

Elvis Road
Hegel Reuman & Xavier Robel
( Buenaventura Press )

Consulter le livre

Helge Reumann est né en Suisse, en 1966, Xavier Robel à Montréal en 71. C’est en 1996 qu’ils fondent l’Elvis Studio à Genève.
De cette association naissent de nombreux travaux, dont une grande fresque de plusieurs mètres dessinée au crayon : Elvis Road.
Elle est reproduite sous forme de livre, pliée en accordéon, d’abord chez Pipifax ( Zurich) en 2002, puis chez Buenaventura Press en 2007.
Cette fresque aurait été dessinée sur 1 an, alternativement par ses deux auteurs.
Si on regarde cette fresque de près - évidemment, on la regarde de près - on remarque que tout à l’air d’être dessiné de manière spontanée, ligne claire, pas de traces de repenti. Pourtant, un monde pullule, sans limite, des centaines de mini-scènes s’accumulent, des milliers de personnages, véhicules, bâtiments, panneaux, écritures se succèdent et s’entremêlent.
Tels deux dieux, ils créent un univers dynamique et chaotique, surpeuplé et assez hostile où tout va trop vite, tout est “trop”, les milliers de personnages sont autant d’expressions de peurs, fureurs, obsessions, manies, égarements, il y est question de sexe, drogues, alcools, bouffes, tueries en excès, religions et fascismes en tout genre, et quand bien même on finit par tomber sur “cuteland”, petite cour de récré où des sortes de personnages Disney consanguins auraient l’air presque sages, pas très loin, la “cute police” bastonne dans un coin.
Sorte de portrait pris sur le vif, est-ce une mise en garde dans la manière dont nous pourrions dégénérer, nous n’en sommes peut-être pas si loin finalement, en attendant, allons jubiler quelques heures le long de l’Elvis Road.

Le mariage des arnolfini

Cette peinture flamande de 1434 possède comme “3”” un goût pour les miroirs convexes. Le zoom avant révèle, dans le reflet d’un miroir, le peintre et une autre personne, quelques taches de peinture apposées avec brio, témoins de la scène peu conventionnelle : la mariée est enceinte, le marié lui tient la main de manière solannelle, le tout dans l’intimité d’une chambre.

Au mur, le “fiut hir” de Jan Van Eyck comme un certificat d’authenticité, central et discret à la fois. Le miroir convexe montre en même temps que le couple de dos un autre couple, l’auteur de la peinture dans le reflet et constitue de facto le contrat. Le tableau se révèle par couche, d’abord un couple étrange par sa posture officielle dans un lieu intime, puis le miroir et sa mise en abîme, puis la signature et sa littéralité.

La force du détail, pédanterie de Van Eyck, permet cette exploration minutieuse qui a permis à cette oeuvre, un des premier portrait “intime”, une des premières peintures sur un support amovible, de faire couler des litres d’encre sur son interprétation.

John Davies

Davies photographie le norde de l’angleterre en pleine désinstrialisation, un déflux de l’histoire qui devient la chance de mettre en perspective le paysage. La notion de diachronie y affleure aussi, étonnamment : ses paysages nous parlent d’un lieu, mais aussi de son passé, nous permettant presque de deviner son évolution, la raison de la présence de tel objet. On y voit par exemple une voie ferrée, apposée dans le paysage à côté d’un cimetière qui lui préexiste probablement, des usines au loin, des maisons ouvrières aui doivent lui être contempiraines. Le paysage, notion capitale dans la culture anglaise, retrouve au delà de son caractère durable, une instabilité, celle des flux et déflux de l’histoire des hommes.

David Claerbout

Artiste (Belge, né en 1969) présente des installations vidéo dans lesquelles une événement ténu est figé en une succession d’image. Proche et pourtant à des années du “Bullet time”, Claerbout fait se succéder des images montrant la même scène, le même instant, à partir de différents points de vue. Les images en noir et blanc, cadrées avec précision, sont montées et projetées dans une installation vidéo. Entre mélancolie du temps impossible à figer et enquête policière à la blow up, nous assistons médusé au dévoilement, voire au déflorage, d’une scène anecdotique de vie quotidienne.