Radio Grandpapier

Autour des dédicaces

Le débat autour de la dédicace revient depuis quelques année à l’occasion d’Angoulême. Critiqué de toutes parts, pour son côté “foire aux boudins” ou son exploitation commerciale par des petits malins amateurs de Ebay, la dédicace semble difficilement contournable tant elle semble un droit pour le public populaire des albums cartonnés.

Le dessin tel qu’il se pratique lors d’une séance de dédicace peut cependant être interrogé sur un autre angle, celui de sa pertinence artistique. En effet, ce dessin est quasiment toujours dessiné à la main sur une page du livre, avec un outil traditionnel : crayon, plume, pinceau ou feutre. C’est assez étrange vu la grande place que tiennent aujourd’hui les technologies digitales par exemple, mais aussi des vieilles techniques comme le collage dans la production des récits.

Quelques travaux autour de la bande dessinée peuvent nous permettre de mettre en perspective le dessin de dédicace.

1) Le sampling

Le sampling est monté en puissance dans l’art. Pourquoi la dédicace ne peut-elle être du sampling alors que le métier s’est transformé et que l’ordinateur produit différentes médiations entre le dessin et son résultat, et que le copier-coller est devenu un seul verbe, et alors que la cadence de la dédicace oblige les auteurs à employer des “trucs” dont le plus connu est la répétition du même dessin ou la prédédicace.

Dans le cas de Cyriak, la notion de boucle et de sampling est constitutive de son animation et de la musique dont il est aussi l’auteur. Cela est permis par les outils d’animation digitale contemporains, et rend problématique la notion “d’original” à un point rarement atteint.

Cyriak : “Cycles”
Cyriak : film “Eskmo”( avec la musique d’un autre )
Cyriak : “Cows & cows & cows”

2) Le collage

Le collage est proche du sampling, mais incluant la matière du support, le papier, dans le processus de création. Il a été une des méthodes importantes de la modernité : d’une part lié à la production industrielle de l’image, d’autre part à une critique des stéréotypes produit par la culture de masse. Les surréalistes vont en faire un usage abondant, amenant l’idée d’un inconscient visuel, dont on peut exprimer la violence par le biais du collage par exemple (la photographie sera utilisée dans ce même sens). L’économie et la notion de ready made, et donc une forme d’ironie par rapport au mythe du “créateur” sont évidemment présents.
Citons le travail de Alexander Negrelli, qui sera publié un de ces quatre par l’employé du Moi, et qui contracte, déplace, zoome sur des récits de gare sur papier pulp, et quelques auteurs sur le site de grandpapier, qui montrent à quel point manipuler une matière préexistante est libératoire et jouissif, pour des résultats parfois vertigineux d’intelligence et de drôlerie. Il s’agit de “Polcid et Mazu” de Otto D., “La difficulté d’aimer” de Pascal Matthey, et de “Riki la ferme” de Ilan Manouach.

3) Le tampon

Sardon est un auteur de bande dessinée qui a probablement trouvé dans l’utilisation du tampon un moyen d’échapper à la lourdeur de la production en bande dessinée, sa répétition iconique, son obligation au récit. Sous le nom du tampographe Sardon, il produit depuis des année des tampons dans une très grande variété de sujets. Des insultes dans différentes langues, des images anciennes, des collages, des citations d’oeuvres d’art. Sardon trouve là, visiblement, un plaisir carnassier et libératoire, dans une lignée post-surréaliste (les surréaliste adoraient les insultes et s’en servaient copieusement comme une arme révolutionnaire). La beauté ultime est que Sardon se défait de ses tampons en les vendant. On n’achète donc une machine à produire des dessins plutôt qu’un dessin. Une manière élégante de rendre plus floue la frontière entre la création et son public.

On aime particulièrement le "Usages de Faux", une exposition à la Maison Rouge une exposition pendant laquelle le public était invité à manipuler des tampons réalisés sur base d’oeuvres d’art dont certaines de Dubuffet et Chaissac, des représentants de l’art brut et d’une certaine idée de la spontanéité...

4) La machine

Savoir si l’art est une “chose mentale” ou affaire de virtuosité technique ont été des enjeux de la modernité. Avec la photographie, la vidéo puis les arts numériques, la position de l’artiste comme concepteur, technicien ou artisan a soulevé des polémiques.
Quel est le statut de l’artiste lorsqu’il ne dessine pas mais produit une machine à dessiner ? Ce déplacement est présent dès les surréalistes, mais explosera avec la fin des années 50’ avec des artistes comme Tinguely. L’art numérique pousse ces questions un peu plus loin dans ses retranchements.

Hektor
Hektor est un robot grapheur créé par deux artistes issus du ZKM, une prestigieuse école de Karlsruhe orientée sur les arts numériques. Hektor réalise ses graphes sur bases de dessins préparés, qu’il exécute avec minutie. Des dessins muraux de grande taille, généralement réalisés lors des vernissages.

Robotlab

Robotlab est un groupe fondé en 2000 par Matthias Gommel, Martina Haitz et Jan Zappe, issus eux aussi du ZKM. Ils utilisent depuis un bras robotique industriel de marque KUKA pour réaliser des projets comme le fantastique Bios [bible], installation dans laquelle le bras robotique orange écrit patiemment la bible de Gutenberg, en écriture gothique et au porte-plume, sur de grandes feuilles de papier.

Le même bras réalise avec “Autoportraits” des dessins d’après modèle : le visiteur est invité à prendre place sur un tabouret , et le robot exécute immédiatement son portrait avec des gestes précis et lents. Après avoir exhibé un court moment le dessin réalisé, le robot efface son oeuvre et se prépare au dessin suivant.

Deux autres machines en vrac
Self portrait machine de Jen Hui Liao :
The “Perpetual Storytelling Apparatus” de Julius Von Bismark et Benjamin Maus

Quelques textes critiques sur la dédicace :
http://www.du9.org/Vers-une-anthropologie-de-la-bande
http://www.actuabd.com/Delaby-Xavier-Le-systeme-de-la
http://www.actuabd.com/JACQUES-TERPANT-Festivals-et
Voir aussi le dossier sur la dédicace dans le Eprouvette N°1 de l’Association.