Radio Grandpapier

Exploration et incrédulité

La science du bien nommé Basile Hannibal Lecoq ( cf "Les derniers dinosaures") ne laisse planer aucun doute sur le pastiche et le second degré. Mais certains livres sont plus troubles, jouant avec notre incrédulité.
On continue de rêver en feuilletant l’"Atlas des îles abandonnées", ou on retombe dans la réalité en accompagnant Jonas Bendiksen dans l’exploration des états satellites de l’ex URSS ?
Ils explorent..., et nous lecteurs, nous qui croyions que...

"Atlas des îles abandonnées"

Judith Schalansky.
Ed. Arthaud

On passera rapidement sur la préface d’Olivier de Kersauson ... Et plutôt s’attarder sur l’avant propos de l’auteur, et on saura comment naît une fascination pour la cartographie...
Séduisant comme un vieux livre, la poussière en moins, trichromie et vieilles gravures, cinquantes cartes d’îles qui existent vraiment, décrites avec précision, position, histoire, nombre d’habitants, s’il y en a...
J’éviterai le "saviez-vous que ?" et oui, il y a une page sur l’île de Robinson Crusoé, et oui, on parle de l’île de St-Hélène....

“Satellites” de Jonas Bendiksen

Bendiksen est un photographe norvégien né en 1977, vivant aujourd’hui à New York. Il bosse depuis 2006 avec l’agence Magnum, et est connu pur avoir été un de ses plus jeunes membres. Il nous intéresse pour son livre “Satellites”, fruit d’une déambulation dans les petits pays explosés de l’ex USSR. Officiellement à la recherche de morceaux de satellites provenant des projets spatiaux russes, il se ballade dans ces petits pays aux noms inconnus comme la transnistrie ou l’Abkhazie, et y découvre les reliquats du pouvoir central et une déliquescence dont les codes nous échappent : tout ça va vers un mieux, vers un pire ? En tant qu’occidental, tout ce froid, toute cette pauvreté, ces dorures fanées du grand frère soviétique semble plomber définitivement l’atmosphère. Avec des images aux couleurs saturées, souvent difficiles à interpréter, Bendiksen offre un aperçu plus personnel qu’informationnel sur ces pays oubliés même de leurs dictateurs, dont les morceaux rouillés de satellites que Bendiksen finit par trouver à l’extrême fin du livre sont la métaphore.

 Son site personnel
 La page de "Sattelites" sur le site de Magnum

Sheriff Curtis et son “The North American Indian”

Avec 50000 photographies réalisées entre 1907 et 1930, il n’y a pas de doutes que Edward Sheriff Curtis fut un passionné. Pourtant, c’est en amateur un peut benêt qu’il a abordé les 80 ethnies indiennes de l’Amérique du nord, du Mexique au nord du Canada, fasciné comme un bon bobo par le côté “pur” d’une culture “ancestrale”. Il va s’attacher a prélever, construire plutôt, des images d’indiens en tenues traditionnelles, dans des habitats et des activités qu’il voudrait préservés de l’homme blanc.

En 27 ans, il va cependant devenir un excellent connaisseur de ces peuplades pour lesquelles il a, au fond, respect et amour. Le paradoxe est que son travail de préservation - financé en partie par un magnat du rail, qui est en train de détruire les régions où vivent ces peuples - intéresse le président Roosvelt qui trouve que c’est là une bonne manière d’archiver l’image de ces peuples “primitif américains” avant de les faire passer à l’histoire -entendez disparaître - une fois pour toutes.
Toutes les images de Sheriff sont accessibles sur le site de la librairie du Congrès.
Un peu plus d’info sur le site de photo de Stéphane ou sur wikipedia

Exactitudes.com de Ari Versluis et Ellie Uyttenbroek

Exactitudes est la contraction de exact et de attitude. Il s’agit du projet d’un photographe et une profileuse qui traquent les cultures vestimentaires de par le monde. Vous vous croyez unique ? Vous croyez vraiment que vos habitudes vestimentaires, dans le fond, n’appartiennent qu’à vous ? C’est risible, nous démontrent ces deux auteurs pour lesquels le monde devient un ensemble de mini-communautés locales.

Ari Versluis et Ellie Uyttenbroek se sont lancés depuis la moitié des années 90’ dans une collection ouverte de groupes sociaux, apparentés par leurs modes vestimentaires. Le couple va de ville en ville (ils ont commencé par Rotterdam avec des gabbers, amateur de techno hardcore), de centre ville en centres commerciaux, et identifie de nouveaux habitus vestimentaires avant de les archiver grâce à un studio portable (fond blanc et flashes installés sur place). Une grand ironie se dégage de leur travail, accessible presque entièrement sur leur site web (http://www.exactitudes.com/), renforcée par leur petit truc : demander à chaque personne photographiée de prendre la même pose que les autres membres du groupe identifié. Yupsters, gothiques, mères bobos mais aussi mamans maghrébines et vieux à chapeaux et gabardines, tout le monde y passe.
Voir des centaines d’images sur leur site et lire la présentation sur le site de phot de stéphane.

Norbert Ghisoland

Photographe issu d’une petite communauté protestante installée au Borinage. Le père de Norbert est lui-même mineur de fond. Il achète à grands sacrifices du matériel photographique pour son fils ainé mais celui-ci décède prématurément. Norbert hérite donc du matériel et de la vocation, se forme à Mons puis s’installe en 1900 à Frameries. Il y travaillera plus de trente ans, faisant défiller toute la population de la région devant son objectif. 90000 photographies plus tard, il mourra en 1939, effrayé semble-t-il par la perspective de la guerre.
Ghisoland est un photographe généreux. Il donne à chacun sa chance, prêtant vêtement et accessoires au besoin. Tous posent devant son décor romantique kitsh, personne ne sourit. Des portraits en pied, des corps incroyables, parfois mal assurés mais souvent invités par les conseils de Ghisoland à ne pas craindre ce rituel étrange qu’est le passage à l’image. On est au début du vingtième siècle et le portrait est depuis peu accessible au basses couches de la population belge. Les regards sont donc droits, francs, et les statures aussi affirmées que possibles. Le doute et la peur passe dans les regards, mais le photographe suscite de petits gestes, mains tenues ou posées, proximité physique, qui montrent la tendresse derrière les visages burinés et les yeux fatigués, les marques de l’industrialisation que Ghisoland met à distance dans le cocon surréel de son studio de village.

Une exposition au Botanique en ce moment montre une belle galerie de portraits d’inconnus surgis du fond de l’histoire de la Wallonie, ressuscités par le petit-fils du photographe. L’occasion est trop rare de voir les photographies de cet August Sander involontaire, aussi allez voir cet exposition jusqu’au 24 avril. Un catalogue vient d’être édité à cette occasion.
La présentation de l’expo sur le site du Botanique
Présentation de Norbert Ghisoland sur le site de Stéphane

Ecouter une interview de DJ Click et Rona Hartner, mars 2005.

Et pour le plaisir, un peu de théorie tombologique, un petit extrait des Shadocks, sur “un principe tombant, et qui les fait tomber : ... la tombonamie”