Autour de la vision
L’idée de l’expérience immersive, sensorielle, totale n’est pas neuve. C’est une tentation un peu vaine que l’on retrouve épisodiquement. Peintures en coupole, films en odorama, Imax, cinéma 3D, et dernièrement télévision 3D.
La plupart du temps, l’obsession pour le dispositif fait oublier que l’art n’est pas que de la technique mais aussi du sens, de l’affect dans un sens plus large que celui que propose Hollywood.
L’OEIL DE L’ESPRIT OLIVER SACKS éd. du SEUIL.
"Sommes-nous vraiment les auteurs, les créateurs de nos propres expériences ? Jusqu’à quel point sont-elles prédéterminées par le cerveau et les sens avec lesquels nous naissons ? Et dans quelle mesure façonnons-nous notre encéphale par l’expérience ?
Voilà les questions auxquelles Oliver Sacks, neurologue américain, tente de répondre à travers l’études de différents cas de patients dont il raconte les pathologies et les conséquences que celles-ci ont sur leur vie ( voir aussi son livre précédent "L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau ). Notre manière de percevoir le monde, de nous situer et de nous adapter dans un environnement sans cesse en mouvement nous paraît absolument évidente et naturelle. Pourtant nous nous rendons compte avec ce livre qu’une déficience d’une aire cérébrale ou d’un sens va complètement bouleverser des vies, et que le monde tel que nous le connaissions jusqu’à présent pourrait être tout à fait modifié pouvant nous plonger dans une confusion totale.
Un homme se réveille un matin, incapable de lire son journal comme s’il était écrit dans un alphabet inconnu, une femme se verra incapable de pouvoir interpréter une image, malgré une vision tout à fait correcte...
Ce qui nous intéresse particulièrement dans ce livre est la partie dédié à la perception de la pronfondeur et de la 3D, en effet l’auteur est un grand amateur de stéréoscopie. Il explique donc ce qui nous permet d’"évaluer" la profondeur et les choses dans l’espace, mais aussi en quoi des objets créés par l’homme ( comme le view master par exemple ) nous permettent de "voir" la 3D.
Il s’avère que l’auteur deviendra lui même sujet de son livre puisque il se trouve à son tour atteint d’un mal qui va lui ôter l’usage de son oeil et le priver ainsi de toute possibilité de percevoir son environnement comme un espace en profondeur et ramener le monde à une image plate comme une carte postale.
FILM BEFORE FILM (OR, WHAT REALLY HAPPENED BETWEEN THE IMAGES ?) WERNER NEKES 1986
http://www.youtube.com/watch?v=s0KADBMXY-8
Dans ce documentaire, Werner Nekes nous livre tout les secrets d’une multitude d’objets, systèmes, images, boites, qui ont précédés le film. On a les plus connus commes les phénakistiscopes, flip book, théatres d’ombres, zootropes et autres, mais aussi des choses beaucoup plus inédites, et parfois très ingénieuses que le réalisateur à déniché au fil des années et dont il fait la démonstration à l’écran. Des images qui révèlent leurs secrets, collectées depuis la Renaissance ( on remarquera qu’il s’agit bien souvent d’érotisme et parfois de politique...) jusqu’aux années 80, sur une musique des plus incroyable.
NEW YORK EN PYJAMARAMA Frédérique Bertrand & Michaël Leblond
( ET LUNAPARK EN PYJAMARAMA des mêmes auteurs ) éd. du ROUERGUE.
Enfin, on peut évoquer ces deux livres pour enfants qui exploitent avec pas mal de bonheur la technique de l’"ombro-cinéma", un calque rayé que l’on applique sur des images préparées qui se mettent à vibrer par magie...
http://www.youtube.com/watch?v=5SWVRBFQ3RM
http://www.youtube.com/watch?v=gZ4zB61rhpY
Adam de Anish Kapoor, 1988-89
Une grosse pierre à peine sortie de la carrière sur laquelle est dessiné un rectangle noir. SUR laquelle ou DANS laquelle, c’est la question que l’on se pose immédiatement. Car même en écarquillant les yeux, on est bien en peine de le savoir, ou plutôt de le voir.
Le travail de kapoor, artiste anglais d’origine indienne, démarre sa carrière dans les années 80’ avec des matériaux bruts et des pigments intenses, parfois saupoudrés directement au sol.
Aujourd’hui, il est une des mégastars de l’art contemporain, et ses interventions sont de plus en plus spectaculaires. entonnoirs géants, wagons traversant des musées chargés de cire pigmentée, canons pneumatiques tirant dans des coins de mur. Mais c’est décidément ses travaux de la fin des années 80’ que l’on préfère, juste équilibre entre l’expérience sensorielle son lien avec des idées.
On regardera aussi avec ravissement Three witches, de 1990.
Omicron, de AntiVJ, 2012
Le Hala Stulecia est un batiment historique de varsovie (le hall du centenaire de Varsovie) datant de 1913, tout de courbes en béton armé, avec une coupole de 65 mètres de diamètre sans pilier intérieur, ce qui est une prouesse. Il est classé au patrimoine de l’UNESCO. Le groupe Antivj a été pressenti pour réaliser une installation à l’occasion de son... centenaire.
Antivj est un groupe mélant des artistes travaillant l’installation image/son dans une optique contemporaine, mélant son et image génératives dans des installations spectaculaires.
Le code trouve une bonne place dans ces productions, on peut donc les qualifier d’artistes numériques.
Au Hala Stulecia, on trouvera donc Omicron, une installation sonore accompagnée de projecteurs puissants qui joue avec la structure du bâtiment, avec des formes abstraites, des séquences. L’esthétique moderne du bâtiment est spectaculairement renforcée, mais ce qui ressort principalement, c’est la perte de repère que produit l’installation. A mesure que les faisceaux de lumière balayent la structure du batiment plongé dans le noir, en rythme, c’est tout le batiment qui se dématérialise et se recompose.
Cette installation n’est pas isolée, elle fait partie d’un courant récent, née avec la démocratisation des projecteurs vidéos. Des interventions mélant sculpture et projection. Tantôt la projection augmente la réalité perçue, crée des textures, des décors, des formes de vie dans des espaces allant de la boite en carton à la scène de théatre. Tantôt elle destructure l’espace pour produire sur le spectateur une sensation d’instabilité, de déséquilibre, de tétanie. L’installation de AntiVj est clairement dans cette deuxième option, avec des moyens à la hauteur de la situation.
Pour être exact, l’installation Omicron joue sur les deux tableaux. Elle crée de manière illusionniste des textures colonisant l’espace, et à d’autres moments elle utilise la structure du batiment, ses arcs, fenêtres et colonnades, pour mieux les briser puis remonter.
Le son a subi le même traitement, ses nappes et granulations ricochent, s’amplifient et vont vibrer l’air autour du spectateur.