La collaboration artiste/non artiste
Selon l’adage moderniste, tout le monde est artiste. Dès lors, l’idée de collaboration entre artistes et "non artistes" est sans objet.
Lorsque l’on parle du rapport entre artiste et non-artiste, on prend généralement ces termes sous l’angle professionnel. L’artiste est celui dont le métier est de produire des actions et oeuvres dans le domaine de l’art. Celui qui a une pratique quotidienne de l’expression. Au travers d’ateliers, d’animations socio-culturelles, de projets artistiques, il se met alors parfois en rapport avec des personnes dans d’autres secteurs d’activité. Le but est souvent la fameuse expression de soi, considérée comme résiliente, cathartique, productrice de lien culturel, de réappropriation, renarcissisante - les buts avoués ou cachés sont nombreux.
Le rapport qui s’installe lors de ces expériences sont souvent paradoxal : alors que l’artiste revendique souvent son métier, c’est-à-dire un savoir faire acquis par une expérience renouvelée et parfois douloureuse de son médium, il louera auprès de ses partenaires du moments la valeur de la spontanéité, dans un mélange de plaisir et d’absence de domination technique. Il trouvera souvent à la fin d’un workshop des valeurs esthétiques dans les réalisations parfois médiocres au regard des critères esthétiques en vigueur, alors que les participants sont quelques peu découragés d’avoir rencontrés leurs limites dans un domaine qu’il ne connaissent souvent que comme des consommateurs.
C’est que les artistes, de par leur formation, ont une conception de l’art intégrant la maladresse, l’accident, les ruptures de style, de matériaux, de codes (les acquis de la modernité en rupture avec les beaux-arts). C’est aussi parce que les artistes connaissent bien la douleur spécifique à la création artistique, et ne peuvent qu’être pleins d’empathie lorsqu’il la reconnaissent dans les épaules tombantes, le rire forcé et le regard fuyant des participants. Mais on trouve aussi une forme de condescendance pleine de bons sentiments, plus suspecte et plus haïssable. L’art comme exutoire à la portée des caniches, permettant à tout un chacun de s’exprimer, un court moment, avant de rejoindre sa condition d’imprimé. Alors ça, non merci.
Un exemple : twinkland
Un exemple intéressant d’inintérêt : un projet intégrant des enfants de 7 à 12 ans "de partout dans le monde" à qui l’on donne des appareils photos jetables et pas de consigne sinon de le ramener une fois le film rempli. On ne manquera pas de se réjouir de la valeur esthétique de la spontaneité et du peu de scrupules des jeunes artistes pour les conventions artistiques. Le livre qui en résulte se vante d’être une première dans l’histoire de la photo, mais si on regarde de plus près on voit que :
– L’idée de récolter des photographies prônant l’universalisme de l’expérience humaine (car il s’agit bien de ça) date de "The family of men", une exposition de 1955 par Steichen.
– La spontaneité, et celle des enfants est un cliché éculé du 20eme siècle
– La photographie ratée comme esthétique est entrée dans les musées avec des travaux comme celui de Nan Goldin ou Richard Billingham, pour n’en citer que deux. L’impression du livre avec ses images en plein bord
La jaquette du livre décrit tout l’amont du travail : les appareils distribués aux enfants, les photos prises pleines de fantaisie et d’amour, mais le livre que l’on a dans les mains nous parle du travail en aval : le choix des images les plus représentatives de la fantaisie et de l’amour par un rédacteur, le maquettage des images plein bord dans l’air du temps par un graphiste et l’impression luxueuse sous couverture cartonnée menée par un éditeur new-yorkais. De tout ce processus les enfants ont été exclus. Les enfants sont ici exploités comme cobaye plein de générosité. Il est symptomatique de voir que quasiment aucune image de ce livre n’est visible sur internet, ce qui montre que les droits d’auteurs sont bien gardés par l’éditeur, et que une recherche sur le terme "twinkland" donne droit à un florilège de photographie porno adolescente, pleine de fantaisie et d’amour elle aussi.
Keepsake (A Photographic project : Alberta 1980)
Le projet "A Photographic project : Alberta 1980" a été mis sur pied à l’occasion de l’anniversaire de la province d’Alberta, au Canada. L’objectif était de mener une réflexion sur l’identité de cette province, et de constituer un fond d’image répondant peu ou prou à cette question.
Comme le fera la mission photographieque de la DATAR, en France, 4 ans plus tard, des photographes "professionnels" ont reçu commande pour couvrir un sujet ou une région. Mais le projet se voulait réflexif, aussi des réunions ont été mises sur pied avec les commanditaires et des universitaires pour déterminer les missions de chacun, pour faire le choix à l’intérieur d’un aussi vaste qu’une province nord-américaine. Des sociologues et autres chercheurs en sciences humaines ont aussi reçu mission de dresser le portrait de l’Alberta. Mais un appel à soumission a aussi été lancé en parallèle : une collecte de photo souvenir auprès de la population. Réalisée sur base volontaire autour du titre "Get clicking : people pictures" avec pour objectif de garder un instantané de la vie de la province en 1980, dans un but de conservation. Les photographies ont été collectées entre février et septembre 1980, montrées lors d’une exposition et nourrissent le catalogue "Keepsake". Aux côtés des photographies en noir et blanc de la bourgade de Falher, de Gabor Szilasi, photographe de son état, on trouvera des photos couleur de vestiaire après une partie gagnée de hockey par une certaine Linda Brost, ainsi qu’un autoportrait Hilary Fedoruk avec son bébé. Chacune de ces photographies a été choisie par leur auteur, donnée par son auteur dans le but de produire la fresque collective d’une province, magnifique occasion de conserver une trace de soi tout en s’inscrivant dans l’histoire d’une région, comme acteur minuscule mais nécéssaire.
Ce livre est à peu près introuvable. Je l’ai déniché dans une libriairie d’occasion lors de mon premier séjour au Québec, début 1992. Il est un de mes livres de photographie préféré.
AKTION MIX COMIX COMMANDO
L’AMCC est un atelier qui s’est fixé comme objectif de réunir autour de la fabrication d’une bande dessinée collective et expérimentale, un groupe de personnes sans se soucier de la notion "d’auteur" ou "d’artiste".
Mené par Thierry Van Hasselt et Eve Deluze ( FRMK ), l’atelier a été proposé à des étudiants, des primo arrivants, des voyageurs.., et durant des festivals ( Rétine 2011, Angoulême 2009...) à toute personne désirant se joindre à l’expérience.
Afin d’assurer une certaine homogénéité, l’atelier propose de suivre un procédé particulier et assez ludique autour de la linogravure, et du collage avec chaque fois deux films ( de Nosferatu à Fifi Brindacier....) comme source de départ.
Les récit sont ensuite proposés sur un site d’impression à la demande.
( Plan nine contre l’Art abstrait )
( Pop-up in heaven )
Cet atelier fait écho à la collaboration de FRMK avec le C.E.C La Hesse -centre d’art pour artistes porteurs d’un handicap mental- autour de l’expérience "Match de Catch à Vielsam".
HELEN LEVITT
Helen Levitt a beaucoup photographié la vie populaire New Yorkaise entre les années 40 et 80. Intriguée par les pratiques des enfants dans la rue, elle photographie pendant 10 ans les graffitis et les messages inscrits à la craie sur l’asphalte ou sur les murs, et regroupe une série de ces photographies dans "In the street".