N°4 : LET’S COMIC, "Tulipe", "Guffin" & "Super Pixel Quest"
Dans cette quatrième capsule de la rubrique "Ma vie en /", je vous présenterai la dynamique revue de bande dessinée thaïlandaise "Let’s Comic" ainsi qu’une sélection de récits à lire en ligne ("Tulipe" de Sophie Guerrive, "The Last Saturday" de Chris Ware, "Guffin" de Pierre Maurel et "Super Pixel Quest" d’Emmanuel Espinasse) !
Après une présentation de la jeune auteure Tuna Dunn dans la capsule du mois de mai, je poursuis ce mois-ci l’exploration du Neuvième Art thaïlandais en vous proposant de découvrir la dynamique revue de bande dessinée Let’s Comic.
L’histoire de cette revue débute en 2002 lorsque Tanyaluck Techasrisutee, encore lycéen, lança un fanzine avec l’un de ses amis. Son père, propriétaire du magazine de cinéma Starpics, les aida à faire évoluer ce fanzine en une « revue alternative de bande dessinée » baptisée Bon Comic (« Bon » signifiant « grognement »). Durant ses études à l’université, Tanyaluck rebaptisa la revue Let Gang et décida par la suite de se lancer professionnellement dans l’édition de bandes dessinées car le paysage éditorial de l’époque lui semblait bien terne. C’est en 2008 qu’a lieu le lancement officiel de la revue Let’s Comic. Durant sa première année d’existence, la revue était mensuelle, puis devint bimestrielle avec un nouveau format durant trois ans pour enfin devenir trimestrielle.
Sous cette nouvelle mouture de dimension A5 qui en est aujourd’hui à son 30ième numéro, la revue réunit 6 ou 7 auteurs thaïlandais autour d’une thématique différente tous les trois mois. Le choix du thème est défini par la popularité de certains sujets. On retrouvera ainsi, sans surprise, un numéro dédié aux zombies et un autre aux chats. L’édition d’un numéro consacré à des récits érotiques il y a quelques mois était plutôt audacieuse, le sujet étant encore peu abordé dans la société thaïlandaise. Si les thèmes sont génériques, leur traitement est plus pointu tant au niveau du rédactionnel que des récits. Dans le numéro consacré aux chats, un encart présentera par exemple le Fritz the Cat de Robert Crumb ou encore la Omaha de Reed Waller et Kate Worley. Une pleine page couleur est même dédiée au Kattenstoet, le fameux « cortège des chats » de la ville d’Ypres…
Les 6 ou 7 auteurs de bandes dessinées conviés proposent des approches et des styles graphiques très personnels. Si les premiers numéros de la revue trahissaient l’énorme influence du manga, l’émancipation stylistique semble aujourd’hui de mise (même si parallèlement le mouvement alternatif japonais de micro-production baptisé « dōjin » semble prendre de l’importance). Fraichement sortie de facultés de graphisme et d’arts numériques, cette nouvelle génération s’est emparée, selon Tanyaluck Techasrisutee, de techniques d’illustrations contemporaines très variées. L’influence du Street Art est par exemple manifeste chez Verachai Duangpla, alias The Duang, l’auteur thaïlandais le plus populaire du moment. Son style pourrait trouver sa place dans le Label 619 des éditions Ankama. Comme les Mutafukaz de Run, les The Grocery de Guillaume Singelin et Aurélin Ducoudray ou les collectifs Doggybags, on retrouve chez lui un dessin dynamique dans un cadre urbain aux sombres ruelles où les rideaux de fer des boutiques semblent constamment baissés pour s’offrir à des graffeurs talentueux. La popularité de The Duang a un impact direct sur les ventes de la revue Let’s Comic. Tirée entre 3.500 et 5.000 exemplaires en fonction des numéros, la revue peut atteindre un tirage de 10.000 exemplaires quand The Duang signe la couverture. Il participe, avec les auteurs Puck et Sa-art, à chacun des numéros. D’autres auteurs, comme Davut, Note, Nummon et Dio, apparaissent aussi très régulièrement, livrant des récits allant de 15 à 25 pages. Chaque numéro de Let’s Comic offre également une carte blanche à un jeune auteur qui y publiera ses toutes premières planches.
Avec sa finition soignée et ses 250 pages principalement en noir et blanc, la revue Let’s Comic participe depuis 6 ans à l’établissement et à la visibilité d’une nouvelle génération d’auteurs thaïlandais. Son équipe éditoriale développe également de nombreux autres types de livres comme des manuels de dessin ou des art-books, organise des concours (comme le Let’s Award) et est présente dans la majorité des grands événements consacrés à la Bande Dessinée en Thaïlande.
Je terminerai cette capsule en pointant également quelques récits de bandes dessinées à découvrir sur la toile. Honneur aux dames avec les strips de l’ours Tulipe. Je suis tombé sous le charme de ces récits de Sophie Guerrive à qui l’on doit déjà trois albums aux éditions Warum et le Crépin & Janvier chez Delcourt. Chaque strip, au style naïf dans le sens noble du terme, dégage une poésie teintée de mélancolie, parfois absurde et donc toujours pleine de bon sens. Tulipe, qui n’est pas tant un ours fainéant qu’un ours qui hiberne éveillé, aura maille à partir avec sa condition d’ursidé. Je cite ici deux phrases tirées de strips que j’affectionne particulièrement : « Tulipe n’est pas malheureux tant qu’il n’arrive rien de mal mais il n’est pas heureux non plus puisqu’il n’arrive rien du tout ». Et la seconde : « Tulipe ne pratique aucun art de peur d’avoir un don et de devoir au monde une œuvre majeure ».
Sur le site du quotidien d’information anglais The Guardian, on peut découvrir un récit de Chris Ware dont une nouvelle planche sera dévoilée chaque semaine. The Last Saturday devrait retracer les vies de 6 habitants de la ville de Sandy Port dans le Michigan.
De Chris Ware à Pierre Maurel, il n’y a qu’un pas à franchir, du moins si on ne s’est pas pété le tibia en faisant du skate. Signalons donc la publication en accès libre du premier des 7 chapitres de Guffin dans le 17ième numéro de la revue numérique Professeur Cyclope ! Après 3 déclinaisons, Blackbird, Post Mortem ou Iba, Pierre Maurel s’attaque au turbomédia, exploitant de manière efficace les effets de diaporama. Trois adolescents, amateurs de skate, semblent hélas y choisir la mauvaise pente. Pierre Maurel évoque par ailleurs plusieurs aspects de ce projet avec le Docteur Henri Landré dans une capsule audio de 21 minutes disponible en ligne.
Au mois de juillet, Emmanuel Espinasse nous avait proposé l’excellente bande dessinée numérique Super Pixel Quest. S’inspirant de l’esthétique des premiers jeux vidéo de plates-formes comme le Castelvania sorti sur NES en 1986, ce récit met en scène un personnage évoluant dans une série de galeries labyrinthiques. Le lecteur est invité à faire avancer l’action en cliquant sur une flèche, faisant apparaître progressivement les pièces dans lequel le personnage entrera de gré ou de force. Gifs animés, douves, portes dérobées et autres chausse-trappes sont au menu de ce webcomic des plus réussis !
Nicolas