N°7 : "The Bloody Footprint"
Dans cette septième capsule, il sera question du récit numérique "The Bloody Footprint" de Lilli Carré, d’un "hourly comics" de Sophia Foster-Dimino et de la participation d’Eleanor Davis et Zak Sally au projet "Conversation Gardening" d’Anders Nilsen.
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Je débuterai par une véritable perle dans l’univers du webcomic avec le récit The Bloody Footprint de Lilli Carré paru ce 5 février sur le site du New York Times. Agée d’une petite trentaine d’années, la dessinatrice américaine a déjà un joli parcours dans divers domaines puisqu’elle est à la fois illustratrice (on citera ici le livre pour enfants Tippy and the Night Parade paru chez Toon Books), réalisatrice de courts métrages d’animation et auteur de bande dessinée avec Les Histoires de Woodsman Pete avec tous les détails paru chez Top Shelf en 2006 et en français à la Pastèque en 2008 ainsi que son roman graphique The Lagoon paru en 2008 chez Fantagraphics et en français chez Cambourakis en 2010 ou son recueil d’histoires courtes Heads or Tails paru chez Fantagraphics en 2012.
Pour The Bloody Footprint, elle réunit dans un même récit ses compétences d’illustratrice, d’auteur de bande dessinée et d’animatrice pour exploiter au mieux la donnée numérique. Lilli Carré y évoque une discussion qu’elle tint avec l’une de ses amies d’enfance. Ensemble, les deux femmes se remémorent un événement de leur prime adolescence. Lors d’une "soirée pyjama" avec 6 ou 7 autres amies, les jeunes filles s’étaient aventurées dans une pièce en travaux dont la charpente en bois était à nu. Courant sur les planches, l’amie de Lilli se blessa au pied et, quelques instants plus tard, la plaie laissera s’écouler une flaque de sang sur le linoleum de la cuisine. Seulement voilà, Lilli contredit cette version de l’histoire ; elle est persuadée que c’est elle qui fut blessée. Elle se souvient parfaitement de la douleur, du fait qu’aucune de ses amies n’avait noté les gouttes écarlates laissées sur le sol jusqu’à la cuisine et de la flaque de sang se formant progressivement autour de son pied. L’une des deux femmes s’est donc appropriée le souvenir de l’autre. Pour rendre cet aspect fluctuant de la mémoire, Lilli Carré propose des dessins synthétiques aux tons grisés, parfois diaphanes mais soutenus par de jolis effets de matière. Sa composition se décline en séries de cases muettes auxquelles répond un texte récitatif. Texte et dessin forment donc cette charpente nue sur laquelle Lilli Carré posera des sensations, des odeurs, des sons et aussi quelques boucles animées. Une bande de trois cases, présentant des planches en bois, s’animera ainsi lorsqu’une paire de jambes passera soudain au travers de la deuxième case, courant sur la charpente. Les jambes passeront ensuite par la première case puis la troisième et ainsi de suite. L’effet, des plus sobres, est pourtant des plus réussis. D’autres boucles d’animation, joliment conçues, émailleront ce somptueux récit sur l’expérience mémorielle.
Autre artiste touche-à-tout, la jeune auteure américaine Sophia Foster-Dimino a réalisé un très touchant "hourly comic" dernièrement. Après avoir fait partie durant quatre ans de l’équipe de "Google doodle" (ces fameux bandeaux-titres de Google qui changent chaque jour en fonction d’une actualité), elle s’est lancé dans une carrière d’illustratrice indépendante. Son style, qui m’évoque tantôt la "ligne frêle" d’Ever Meulen ou de Stanislas, tantôt les visages géométriques de Ron Regé Jr., tantôt des auteurs de Nobrow, le minimalisme de John Porcellino ou encore le travail de Michael DeForge sur Adventure Time, sied parfaitement au New York Times où l’illustratrice est d’ailleurs publiée. Editant des fanzines, participant à des collectifs, réalisant de courtes séquences animées, elle propose de nombreux récits sur son tumblr. Ses histoires, dont on pointera la série Sex Fantasy, explorent l’intimité et l’identité sexuelle, avec un ton doux-amer et quelques touches oniriques. Au 1er février, date annuelle des « hourly comics », elle a écrit une histoire conçue heure par heure relatant à chaque fois ce qui se déroula durant l’heure écoulée. Elle évoque donc les événements et les pensées qui composèrent sa journée comme les souvenirs d’un rêve au matin, sa consommation de shampoing sous la douche, ses rendez-vous avec ses amies ou encore ses considérations sur son travail et sur ses dessins compulsifs de petits ronds qui doivent, selon elle, découler d’un problème psychologique. Au fil des heures, le lecteur découvrira par petites touches que la jeune femme porte en elle un secret qu’elle dévoilera, avec sobriété, en conclusion de ce très beau récit.
A la fin de son post, Sophia Foster-Dimino place plusieurs liens vers d’autres "hourly comics" très réussis dont celui de l’illustratrice Eleanor Davis à qui l’on doit la bande dessinée How to be Happy parue chez Fantagraphics l’an passé. Si j’évoque son nom ici, c’est pour signaler qu’Eleanor Davis ainsi que Zak Sally se sont joints récemment au projet Conversation Gardening (partie 1 et partie 2) initié par Anders Nilsen en juillet 2014. L’auteur de Dogs and Water et de Big Questions, découvrant que le site de vente en ligne Amazon supprimait de son catalogue des ouvrages qui critiquaient les pratiques du géant pour s’assurer une position de monopole, décida de réagir.
Il proposa à ses lecteurs d’acheter l’un de ses livres dans une librairie physique ou sur un site indépendant et de lui envoyer le ticket ainsi qu’une question. Anders Nilsen produit alors un dessin répondant à cette question, le publie sur son site et renvoie l’original à son lecteur. Ainsi se poursuit une forme de conversation en réaction à celle qu’Amazon a résolument décidé d’interrompre. Eleanor Davis (ici) et Zak Sally (là), probablement rejoints bientôt pas d’autres, proposent donc désormais le même principe à l’achat de l’un de leurs titres et pour un nombre restreint de participants...
Et puisqu’il est question d’Anders Nilsen, je terminerai cette capsule en vous signalant son récit On Optimism pour le magazine en ligne Matter dans la série Why 2015 won’t suck. Les récents attentats de Paris et de Copenhague n’ont hélas pas aidé à susciter l’optimisme... Et si on disait que 2015 commençait à partir du Nouvel An Chinois ?
Nicolas